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État de trente-six millions de Gaulois, dont vingt millions de paysans, ressemble en rien à une cité de vingt mille Athéniens ? Essayez donc, dans un tel État, de tirer les fonctions au sort. Supposez Athènes située sur le Borysthène, à la hauteur de Kiew, au milieu des Scythes ; le Pnyx et l’Aréopage, Démosthène et Aristophane ne s’y conçoivent plus. Peut-être M. Beulé ne tient-il pas compte de toutes ces différences. Sa sévérité extrême pour Auguste et pour ceux qui contribuèrent à l’établissement du principat suppose que, dans sa pensée, ce ne fut là qu’une entreprise d’ambitieux, qui n’avait pas de légitimité. Or, si quelque chose était écrit d’avance, c’est que Rome, en conquérant le monde, préparait une immense dictature militaire. Comment s’imaginer que le monde, qui s’était rangé dans cette grande confédération, accepterait d’être gouverné par la ville de Rome ? Paris a de même été un centre d’attraction pour la France ; est-ce qu’il eût été possible que la France fût gouvernée par les échevins de Paris ? Le jour où Paris est devenu la capitale de la France dans le sens complet du mot, la France n’a pas voulu que Paris eût seulement un corps municipal. Est-ce que, si la république de Venise fût arrivée à des possessions territoriales très-considérables, les provinces eussent supporté le régime des provéditeurs ? Non ; il n’y a pas de doute qu’elles eussent renversé la savante constitution vénitienne, fondée sur le privilège des anciennes familles de la ville, en servant les brigues de quelque capitaine audacieux. Le jour où Rome devint la capitale du monde, Rome devait cesser d’être une ville indépendante.

Le mouvement qui créait le césarisme était le mouvement de l’empire entier. On se place toujours, pour juger