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M. Beulé nous avoue lui-même que son but a été « moral », qu’il a voulu « faire ressortir des enseignements » ; pour partager sa manière de voir sur Auguste et Livie, on doit « écouter la voix de son cœur ». Dieu me garde de le blâmer ; mais il est clair que M. Léon Renier, construisant la même histoire sans écouter autre chose que les avertissements de sa critique limpide et dégagée de toute arrière-pensée, fût arrivé à des jugements différents. M. Beulé pense qu’il est utile à la morale que Auguste, Livie, Julie, Agrippa, Mécène aient commis le plus de crimes possible ; dans son zèle pour les principes, il accueille toute allégation malveillante, pensant qu’il est bon qu’on se figure les despotes, leur famille et leurs amis sous les plus noires couleurs. Mais de pareilles allégations sont quelquefois vraies, quelquefois fausses. Il faut tout écouter, tout peser, et, quand on n’entend qu’une opinion, se défier. Même pour Néron, je voudrais qu’il nous fût possible d’entendre la défense. Josèphe, son contemporain, nous apprend que son histoire avait été écrite de deux points de vue entièrement opposés, les uns l’élevant jusqu’au ciel, les autres entassant contre lui les mensonges avec une impudeur sans égale[1]. La version qui présente le fils d’Agrippine comme un monstre nous est seule parvenue ; je la crois vraie quant au fond ; cependant j’aimerais fort à connaître l’autre. La haine est si inventive en fait de calomnies ! les bruits d’une ville immorale et cancanière méritent si peu de créance ! En vertu de l’axiome souvent trompeur : Is fecit cui prodest, l’opinion publique n’ad-

  1. Ant. jud., XX, viii, 3.