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pression, si elle sert parfois les idées, peut souvent leur nuire. Je prie les historiens et les critiques de ne point m’appliquer leurs instruments de précision, mais d’écouter la voix de leur propre cœur. Les portraits que je retrace sont surtout des études morales, et ce sont les enseignements de l’histoire que je m’efforce d’y faire ressortir. Les consciences fermes en tireront quelque consolation, les consciences ébranlées de salutaires clartés, car les poëtes, les adulateurs, les faux légistes de tous les temps ont fait d’Auguste un type qui ne peut qu’attrister ceux qui pensent, justifier ceux qui flattent, tromper ceux qui règnent. »

Ainsi entendu, le livre de M. Beulé mérite beaucoup d’éloges. M. Beulé est un de ces génies faciles auxquels tout réussit, car ils sont dans une heureuse harmonie avec le siècle où ils vivent, les sujets qu’ils traitent, les desseins qu’ils forment et le public qui les entoure. Doué d’un sens pratique singulièrement ferme, d’un goût sûr en ses limites, d’une résolution de jugement qui est la plus précieuse des qualités à un moment d’affaiblissement des caractères et d’amollissement des esprits, M. Beulé a le tempérament des hommes politiques ; son style clair, vif, naturel, le désigne pour l’action. Comme le spirituel académicien le laisse entrevoir dans sa préface, ce ne sont pas là tout à fait les qualités qui servent à la critique scientifique. La première condition pour celle-ci est de ne se proposer aucun but politique, de ne point songer à exercer une action sur son temps, de ne se permettre aucune allusion aux choses actuelles, de ne plaire à aucun parti. Les préoccupations du présent, introduites dans l’histoire, la faussent infailliblement.