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ment que possible, d’une façon gauche, embarrassée, derrière laquelle on sent percer l’antipathie. Au fond, il réserve tout son enthousiasme pour Ali. Ali était devenu le déversoir des besoins mystiques et mythologiques de la Perse. On ne parlait de lui qu’avec une emphase touchant à la folie. Comment reprendre ces effusions envers un parent du Prophète, envers le plus saint des musulmans ? Couvert par un tel artifice, l’hérétique persan rapportait à ses rêves panthéistes ce qu’il disait de cet Arabe, dont au fond il se moquait, et souriait intérieurement en songeant au bon tour qu’il jouait ainsi à l’orthodoxe. Par moments, la mauvaise humeur de Firdousi contre l’islam se trahit d’une façon à peine déguisée. Racontant ce qui se passe à ce moment capital de l’histoire de la civilisation où l’on introduisit la fête du feu : « Nos pères, dit Firdousi, avaient, eux aussi, un culte, une religion ; l’adoration de Dieu florissait parmi eux. Comme les Arabes se tournent dans leurs prières vers une pierre, eux se tournaient vers le feu aux vives couleurs. »

Ce que Firdousi est par-dessus tout, c’est naturaliste et fataliste. Le monde roule éternellement, entraîné par une loi qui réside en lui et surtout dans les astres, sans qu’aucune volonté bienveillante ou juste le gouverne. La mort plane sur toute chose. L’histoire est une succession d’âges qui se chassent les uns les autres, et auxquels président des prophètes, des héros particuliers à chacun d’eux. Au travers de cette ronde, présidée par la mort, apparaissent quelques sages qui ont su goûter la joie, tout en voyant bien qu’elle est passagère. Le poëte interrompt de temps en temps sa cantilène narrative pour insister sur l’uni-