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rut. Au lieu de ces guerres des dieux et des éléments naturels qu’on voit derrière les épopées des Grecs, des Hindous, des Perses, des peuples celtiques, même derrière les Niebelungen, le dernier fond de l’épopée nouvelle fut un Charlemagne légendaire, fort différent de celui qui exista réellement, très-peu chrétien parfois, mais placé par l’influence des idées chrétiennes à une distance infinie de ce qui constitue le demi-dieu et le héros.

Dans cette série d’études comparatives, la Perse occupe une place de première importance. L’ancienne Perse fut essentiellement héroïque ; pour les mœurs, les idées, la langue, elle ressemblait singulièrement à notre époque carlovingienne ; elle était mythologique aussi, et, derrière les atténuations du Zend-Avesta, on aperçoit l’arrière-plan de polythéisme qui, dans l’Inde, a produit une végétation si luxuriante de dieux et de fables. De tout temps, une classe de dihkan, restes d’une noblesse féodale qui garda, sous le gouvernement des Arabes, toute son importance, se nourrissait de ces souvenirs. L’islamisme, bien plus destructeur encore que le christianisme des traditions païennes, fut un rude coup pour le vieil esprit : mais ce ne fut pas un coup mortel. Dans la région voisine du Tigre, l’esprit de l’Iran, qui d’ailleurs n’y avait jamais fleuri sans mélange, disparut devant l’éclat de la nouvelle civilisation qui se réalisa un moment à Bagdad. Mais dans les provinces orientales se conserva le génie de la Perse et son antique idiome. L’arabe ne réussit à être que la langue de la religion. Aussitôt que le kalifat s’affaiblit, une réaction persane, d’abord sourde, bientôt ouverte, se manifeste. Les gouverneurs des provinces orientales deviennent indépendants ; on parle persan à leurs cours ;