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jours, nous ne sûmes guère ce que c’est que le sommeil ; mais le spectacle du passé et du présent était si étrange, que nous ne sentîmes la fatigue que plus tard. Chose singulière, ma jambe raide et mon pied traînant ne se refusèrent pas une fois à leurs devoirs les plus pénibles. Le mal n’était pas guéri, il était oublié.

Nous dîmes adieu aux grands arceaux du château de Roger le mardi 7 septembre, à cinq heures du soir. Nous revîmes Montréal à la nuit tombante ; je saluai la belle abside du roi Guillaume II, et je pus serrer la main à ce beau chanoine qui, lors de notre première visite, voulut bien être mon guide, mon exégète et mon soutien. La nuit nous prit gravissant les sommets qui forment le fond du bassin de Palerme. Nous entrions dans le bassin du golfe de Castellamare, dans les vallées qui produisent le délicieux vin de Zucco. Tous les villages étaient illuminés ; la vue d’un représentant de ce gouvernement que les populations n’avaient connu jusque-là que de loin remplissait le pays de joie. Chaque fois le ministre devait descendre ; les scienziati étaient aussi fort demandés ; on les avait annoncés, les localités qui avaient voté des fonds pour la réception voulaient les avoir. Cet empressement était touchant et empreint d’une cordialité extrême. Partout on nous servait des rafraîchissements excellents et les vins du pays. Le patriotisme local s’en mêlait. À Partenico : « Trouvez-vous nos glaces meilleures que celles de Borgetto ? » À Borgetto : « Notre vin, n’est-ce pas, vaut mieux que celui de Zucco ? — Oui, sans doute », répondions-nous, et c’était vrai. Ces vins de Sicile sont des sirops exquis. Ils diffèrent de village à village, et le meilleur paraît celui qu’on a goûté le dernier.