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venaient au-devant de nous en criant : « Vive la science ! » Cet enthousiasme nous rappelait les beaux vers où Empédocle raconte les triomphes enfantins de la science au milieu d’un peuple enivré de ses premiers miracles : « Amis qui habitez l’acropole de la grande ville que baigne le blond Acragas, gens soucieux des bonnes choses, salut. Je suis pour vous un dieu ambrosien, non un mortel ; je marche entouré de vos honneurs, couronné par vous de bandelettes et de couronnes,… etc.[1]. »

Au fond, ces braves gens, qui nous accueillaient au cri de vive la science, ne répétaient pas seulement un mot d’ordre. Ils savaient assez bien, quoique vaguement, ce qu’ils disaient. La « science » signifiait pour eux la liberté de l’esprit, la protestation contre toute chaîne imposée au nom d’une autre autorité que la raison. Il faut se rappeler que le fanatisme religieux n’a jamais été fort en Sicile. Les populations abandonnèrent l’islamisme et l’église grecque sans crise violente. L’inquisition fut en Sicile une institution espagnole, plus politique encore que religieuse. L’extrême éveil des esprits, une grande chaleur de prosélytisme, l’ardeur de travailler à l’œuvre du temps, sont les sentiments qui dominent, même dans une partie du clergé. Cet enthousiasme, qui nous reportait de deux mille quatre cents ans en arrière, en pleine Grèce, quand les religions de l’Orient n’avaient pas élevé contre la science la plus forte barrière qui fut jamais, aboutira-t-il à quelque chose de fécond ? Nous n’hésitons pas à le croire. Le grand nombre d’excellentes têtes que la Sicile a produites de nos jours permet de tout espérer pour

  1. Diogène Laerte, l. VIII, ch. ii, § 62.