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mands de Sicile furent des personnages à demi ecclésiastiques, chefs puissants d’un clergé riche et dès lors patriote. Les images du roi normand couronné directement par Jésus-Christ ou le Père éternel sont prodiguées : sur le principal siège de chaque grande église, à droite du chœur, du côté de l’évangile, on lit en gros caractères : Sedes regis. La conquête normande eut ici son effet ordinaire, qui était de réunir, en vue d’un but commun et national, sous la main de vigoureux chefs, bientôt identifiés avec le peuple conquis, toutes les forces vives, tous les éléments du pays. En Sicile, ces éléments étaient prodigieusement divers. C’était, si j’ose le dire, une civilisation trilingue ; les inscriptions, où l’on se plaisait à faire figurer l’un à côté de l’autre le grec, l’arabe et le latin[1], étaient la plus parfaite image de ce monde mêlé et pourtant plein de vie et d’originalité.

Certes la période souabe fut brillante au plus haut degré. Palerme fut, durant quelques années, la capitale de l’Europe, le centre des grandes affaires ; mais la Sicile se trouva entraînée par les Hohenstaufen dans une querelle qui n’avait rien de national pour elle, la guerre de l’empire et de la papauté. Cette guerre du laïque et de l’Église, l’Italie sait la faire à sa manière ; mais sa manière n’est pas du tout la manière allemande. L’Allemagne procède par antipapes ; l’Italie soutire l’orage au lieu de l’amonceler. Elle n’a que faire d’antipapes, puisque son pape à elle est toujours le pape de Rome, le pape véritable. Les maladresses des Hohenstaufen n’eurent d’autre résultat que d’amener cette triste domination ultramontaine de la

  1. On y joignait même quelquefois l’hébreu, à cause des juifs.