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patrie ; ils se diviseront sur des hérésies, non sur des questions de nationalité.

Voilà ce que vit parfaitement Marc-Aurèle, et ce qui le rendit si peu favorable au christianisme. L’Église lui parut un État dans l’État[1]. « Le camp de la piété », ce nouveau « système de patrie fondé sur le Logos divin[2] », n’a rien à voir avec le camp romain, lequel ne prétend nullement former des sujets pour le ciel. L’Église, en effet, s’avoue une société complète, bien supérieure à la société civile ; le pasteur vaut mieux que le magistrat[3]. L’Église est la patrie du chrétien, comme la synagogue est la patrie du juif ; le chrétien et le juif vivent dans le pays où ils se trouvent comme des étrangers[4]. À peine même le chrétien a-t-il un père et une mère[5]. Il ne doit rien à l’empire et l’empire lui doit tout ; car c’est la présence des fidèles, disséminés dans le monde romain, qui arrête le courroux céleste et sauve l’État de sa

  1. L’auteur de l’épître à Diognète (voir ci-dessus, p. 426) admet cette définition. Voir aussi Celse, dans Orig., VIII, vers la fin.
  2. Ἴδιον στρατόπεδον εὐσεϐείας… ἄλλο σύστημα πατρίδος κτισθὲν λόγῳ θεοῦ. Origène, VIII, 73, 75.
  3. Orig., Contre Celse, III, 30.
  4. Épître à Diogn., 6.
  5. L’indication de la filiation et de la patrie est rare dans les inscriptions chrétiennes. Le Blant, Inscr., I, p. 124 et suiv., 128 et suiv. Il en est de même pour l’hérédité. Ibid., p. 131-133.