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sa résurrection n’en a qu’un seul. C’est le contraire qui aurait dû avoir lieu[1].

Si vous aviez si fort envie de faire du neuf, combien il aurait mieux valu choisir pour le déifier quelqu’un de ceux qui sont morts virilement et qui sont dignes du mythe divin ! Si vous répugniez à prendre Héraclès, Asclépios ou quelqu’un des anciens héros qui déjà sont honorés d’un culte, vous aviez Orphée, homme inspiré, nul ne le conteste, et qui périt de mort violente. Peut-être direz-vous qu’il n’était plus à prendre. Soit ; mais alors vous aviez Anaxarque, qui, jeté un jour dans un mortier, comme on l’y pilait cruellement, se jouait de son bourreau. « Pilez, pilez, disait-il, l’étui d’Anaxarque ; car, pour lui-même, vous ne le toucherez pas ! » parole pleine d’un esprit divin. Ici encore, dira-t-on, vous avez été prévenus… Eh bien, alors, que ne preniez-vous Épictète ? Comme son maître lui tordait la jambe, lui, calme et souriant : « Vous allez la casser », disait-il ; et la jambe en effet s’étant brisée : « Je vous disais que vous alliez la casser ! » Qu’est-ce que votre dieu a dit de pareil dans les tourments ? Et la Sibylle, dont plusieurs parmi vous allèguent l’autorité, que ne l’avez-vous prise ? Vous auriez eu les meilleures raisons de l’appeler fille de Dieu. Vous vous êtes contentés d’introduire à tort et à travers, frauduleusement, nombre de blasphèmes dans ses livres, et vous nous donnez pour dieu un personnage qui a fini par une mort misérable une vie infâme. Tenez, vous auriez mieux fait de choisir Jonas, qui sortit sain et sauf d’un gros poisson, Daniel, qui échappa aux bêtes, ou tel autre dont vous nous contez des choses plus drôles encore[2].


  1. Orig., II, 54, 55, 63, 67, 68, 70, 72, 73, 74, 75; V, 51.
  2. Celse, dans Orig., VII, 53.