Page:Renan - Marc-Aurèle et la Fin du monde antique.djvu/279

Cette page a été validée par deux contributeurs.

palais, de se passer de gardes, d’habits resplendissants, de torches, de statues, m’apprendre enfin qu’un prince peut presque resserrer sa vie dans les limites de celle d’un simple citoyen, sans montrer pour cela moins de noblesse et moins de vigueur, quand il s’agit d’être empereur et de traiter les affaires de l’État. Ils m’ont donné de rencontrer un frère dont les mœurs étaient une continuelle exhortation à veiller sur moi-même, en même temps que sa déférence et son attachement devaient faire la joie de mon cœur… Si j’ai eu le bonheur d’élever ceux qui avaient soigné mon éducation aux honneurs qu’ils semblaient désirer ; si j’ai connu Apollonius, Rusticus, Maximus ; si, plusieurs fois, m’a été offerte, entourée de tant de lumière, l’image d’une vie conforme à la nature (je suis resté en deçà du but, il est vrai : mais c’est ma faute) ; si mon corps a résisté jusqu’à cette heure à la rude vie que je mène ; si je n’ai touché ni à Bénédicta ni à Théodote ; si, malgré mes fréquents dépits contre Rusticus, je n’ai jamais passé les bornes, ni rien fait dont j’aie eu à me repentir ; si ma mère, qui devait mourir jeune, a pu néanmoins passer près de moi ses dernières années ; si, chaque fois que j’ai voulu venir au secours de quelque personne pauvre ou affligée, je ne me suis jamais entendu dire que l’argent me manquait ; si, moi-même, je n’ai eu besoin de rien recevoir de personne ; si le sort m’a donné une femme si complaisante, si affectueuse, si simple ; si j’ai trouvé tant de gens capables pour l’éducation de mes enfants ; si, à l’origine de ma passion pour la philosophie, je ne suis pas devenu la proie de quelque sophiste, c’est aux dieux que je le dois. Oui, tant de bonheurs ne peuvent être l’effet que de l’assistance des dieux et d’une heureuse fortune.


Cette divine candeur respire à chaque page.