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en eux, c’est l’heureuse combinaison qu’ils ont su opérer de la poésie, de l’érudition et de la philosophie, combinaison qui constitue selon moi le véritable penseur. Herder et Goethe sont ceux où je trouve la plus haute réalisation de ce mélange ; aussi attirent-ils surtout mes sympathies. Le second pourtant n’est pas assez moral. Faust est admirable de philosophie, mais désolant de scepticisme ; le monde n’est pas comme cela : il y a une vérité et un bien absolus ; il faut croire la première et pratiquer le second. Supposer le monde sans cela, c’est un cauchemar, et Faust n’est pas autre chose. Mais quelle peinture des angoisses du doute ! Il y a des endroits où je crois en le lisant raconter mon histoire intérieure. Je ne lis jamais l’admirable monologue : « Pourquoi, sons célestes », etc.. et surtout le beau vers : « Das Wunder ist des Glaubens liebstes Kind », sans en être touché au fond de l’âme. — Cette initiation à un esprit nouveau m’a beaucoup soutenu dans les moments pénibles que j’ai dû traverser. Que serait-on à certains moments de la vie, si l’étude et la culture intellectuelle ne formaient un alibi à l’âme