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point assez, ma chère Henriette ? Est-ce donc sur la mesure d’un intérêt positif qu’il faut tout apprécier ici-bas, et les plus saintes affections de lame n’ont-elles d’autre valeur que celle d’un calcul personnel ? Non, ma bonne amie, l’assurance de ton amitié sera toujours mille fois plus précieuse pour moi que tous les avantages réels que je pourrais en retirer, et quand même les circonstances me défendraient d’en profiter jamais, n’en aurais-je pas retiré le fruit le plus doux, la conscience d’un cœur qui m’aime ?

Je goûte depuis deux mois un bonheur bien doux et bien pur auprès de notre bonne mère. J’ai été heureux de la retrouver toujours la même ; sa santé me paraît assez bonne, et elle supporte avec tout le courage possible son pénible isolement. Elle vit de notre pensée. Que ne peux-tu assister à quelqu’un de nos chers entretiens ! Si parfois l’avenir vient mêler quelque pensée amère aux joies du présent, c’est la même amitié qui inspire et la joie et la tristesse, et les rend également douces. Puissions-nous toujours préférer ces jouissances qui sont toujours en notre pouvoir,