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n’est sortie de mon cœur ; et même dans ces rares moments où la mort m’a semblé le seul remède à mes maux, eh bien ! même alors il y avait encore au fond de mon être une région assez calme. C’est dans ces moments qu’on est heureux d’être capable d’une pensée morale. Si la fin de l’homme était la joie, la vie serait insupportable à ceux à qui le sort l’a refusée ; mais quand on a placé le terme de sa vie dans un monde plus haut, on est moins ému des tempêtes qui agitent les régions inférieures. Je me consolais en songeant que je souffrais pour ma conscience et pour la vertu. La pensée de ce Jésus de l’Évangile, si pur, si beau, si calme, mais si peu compris de ceux même qui l’adorent, m’était surtout d’un admirable soutien. Quand je retraçais à ma pensée ce sublime idéal de souffrance et de vertu, je sentais mes forces renaître, et je consentais à souffrir encore. — Mon Dieu, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ; pourtant que votre volonté soit faite, et non la mienne !

Je dois d’abord t’annoncer, ma bonne Henriette, que, conformément à tes conseils