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ou quatre pages, que je t’avais déjà adressées, pour répondre à cette lettre si affectueuse dont chaque mot, chaque pensée est entrée au fond de mon âme. Bon et cher ami ! il y a aujourd’hui vingt-deux ans que tu ouvris les yeux à cette vie qui, pour toi aussi, devait avoir tant d’amertume ; depuis ce temps, quelle est l’heure où tu n’as pas été ma première, ma plus tendre préoccupation ? Oh ! que tu as raison de tourner vers moi ta pensée, quand tu te sens oppressé par la douleur ! C’est me prouver que tu as compris comment je t’aime ; c’est me rendre avec usure tout ce que je t’ai donné. — Oui, mon Ernest, avant d’aller plus loin dans la carrière où tu es entré, avant de faire un pas irrévocable dans une telle voie, il faut, comme tu le sens toi-même, que toute influence étrangère cesse d’agir sur ton esprit, que ta détermination vienne d’une volonté éclairée et libre. Or, pour qu’elle soit libre, il faut que tu sortes, pour quelque temps au moins, de l’atmosphère où tu as jusqu’à présent vécu, et, pour qu’elle s’éclaire, il est de toute nécessité que tu puisses connaître quelque peu ce monde où tu dois passer ta vie : il est des