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lence. Fallait-il encore ajouter cette autre souffrance à toutes celles que tu t’imposes pour nous ? Je ne puis, en vérité, comprendre comment nous avons pu négliger de t’écrire, alors que tu étais présente à toutes nos pensées et à tous nos entretiens. Sois bien sûre, chère Henriette, que désormais je saurai t’épargner une peine, dont mieux que tout autre je comprends l’amertume.

Je devance un peu cette fois l’époque de ma lettre, parce que je veux conférer plus sérieusement avec toi d’un avenir qui vient enfin m’obliger impérieusement de penser à lui. Jusqu’à ce jour, j’ai suivi passivement la ligne qu’une force supérieure traçait devant moi, et après tout je ne puis me résoudre à m’en repentir. Peut-on reprocher à l’homme encore incapable de faire une démarche avec sens et jugement, de ne pas résister à la force des circonstances souvent plus sage que lui, et qui saura bien après tout l’obliger à céder ? Mais enfin l’époque est venue, où le devoir m’oblige à insérer mon action dans la décision de ma destinée et à prendre un rôle actif dans ma propre vie.