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chère indépendance se trouve dans la carrière que tu dois embrasser. Là particulièrement, la subordination me fait peur, parce qu’il ne reste aucun moyen de s’y soustraire. Je sais, mon ami, qu’on peut opposer beaucoup d’objections à mes craintes, et, si je ne le pensais pas, mon langage serait probablement plus explicite encore ; je sais aussi que je puis être accusée de juger ce que je n’ai pas pu examiner de près ; — mais tu avoues toi-même que bien des espérances que tu avais formées se sont évanouies sous tes yeux ; comment donc ne serais-je pas portée à craindre pour l’avenir de nouvelles déceptions ? Mon Ernest, mon bien cher ami, pardonne-moi d’ajouter mes inquiétudes à celles de ton propre cœur, sans te rien dire qui puisse résoudre tant de difficultés. Je m’accuse souvent de creuser de plus en plus l’abîme de tes pensées en te portant à les sonder, en les approfondissant avec toi ; mais, mon ami, il me serait impossible de te dissimuler la moindre de mes impressions ; pourrais-je par conséquent te cacher celles qui tiennent le premier rang dans mon cœur ?...

Tu dis avec beaucoup de vérité, cher Ernest,