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comptable qu’à moi-même de mes actions : une vie libre et indépendante serait bien de mon goût. — Hélas ! mon cher ami, me répondit-il, où la trouverez-vous ? » Il avait l’air de me dire : « Moi aussi, je l’ai cherchée, et je l’ai cherchée en vain. » Je le reconnais, pour être libre dans un siècle comme le nôtre, il faut commander : cela seul serait capable de me donner de l’ambition. Du reste, c’est une réflexion que je fais souvent et qui me console. L’homme a toujours une ressource assurée : c’est de se retrancher en lui-même, et là de se venger, en jouissant de lui, de toutes les servitudes extérieures. C’est un bienfait inestimable de celui qui est l’auteur de notre être d’avoir cette liberté intérieure à l’abri de toute force extérieure, du moins pour qui sait la conserver : car ce bien encore, combien peu en jouissent ?

Si je faisais cet examen froidement et en parfait équilibre, il ne me serait pas aussi pénible. Mais ce qui me cause une peine indicible, c’est que je ne sens que trop que le bonheur de ma pauvre mère en dépend. Cela ne m’influencera pas : car ma conscience