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ses, ce que tu acceptes. Lors même que tu persisterais dans tes opinions présentes, ne te serait-il pas toujours nécessaire d’avoir acquis l’expérience de la vie avant de te trouver chargé d’y conduire les autres ? Comment un jeune homme de vingt-quatre ou de vingt-cinq ans, qui ne serait jamais sorti d’une studieuse retraite, serait-il capable de servir de guide ou d’appui à ceux qui ont sans cesse à lutter contre mille orages ?

Qu’aucune considération sur l’intérêt de ta famille ne puisse t’arrêter ; je te demande en grâce de ne point exposer le bonheur de ta vie entière pour calmer les craintes de ton bon cœur : ne trouvé-je pas un allégement à mes travaux en songeant que le fruit en peut être utile à ceux que je chéris, à mon enfant d’adoption, à mon Ernest bien-aimé ? Un jour, ce sera ton tour, si je reste longtemps sur la terre ; d’ailleurs, pense-t-on à s’acquitter envers ceux que l’on aime ?

Sois parfaitement tranquille sur le secret que tu me demandes à l’égard de maman ; j’en sens toute l’importance. Tu sais que sans agir avec dissimulation, j’aime à ne lui rien faire