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Paul. Cette pièce, telle que nous l’avons, a frappé toute l’antiquité ecclésiastique. Irénée, Origène, Eusèbe, la citent et l’admirent. Le style en a une saveur âpre et prononcée, quelque chose de fort et de populaire ; la plaisanterie y va jusqu’au jeu de mots ; au point de vue du goût, certains traits sont poussés à une exagération choquante ; mais la foi la plus vive, l’ardente soif de la mort n’ont jamais inspiré d’accents aussi passionnés. L’enthousiasme du martyre, qui, durant deux cents ans, fut l’esprit dominant du christianisme, a reçu de l’auteur, quel qu’il soit, de ce morceau extraordinaire, son expression la plus exaltée.


À force de prières, j’ai obtenu de voir vos saints visages ; j’ai même obtenu plus que je ne demandais ; car, si Dieu me fait la grâce d’aller jusqu’au bout, j’espère que je vous embrasserai prisonnier de Christ Jésus. L’affaire est bien entamée, pourvu seulement que rien ne m’empêche d’atteindre le lot qui m’est échu. C’est de vous, à vrai dire, que viennent mes inquiétudes : je crains que votre affection ne me soit dommageable[1]. Vous autres, vous ne risquez rien ; mais moi, c’est Dieu que je perds, si vous réussissez à me sauver… Jamais je ne retrouverai une pareille occasion, et vous, à condition que vous ayez

  1. Il craint que les chrétiens de Rome, par leur crédit et leur fortune, ne le sauvent de la mort. Voir Constit. apost., IV, 9 ; V, 1, 2 ; Lucien, Peregrinus, 12 ; Eusèbe, H. E., IV, 40.