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de littérature ; la grande discipline de l’esprit, qui vient surtout de la science, tirait de ces chaires peu de profit. La philosophie fut spécialement favorisée par Antonin et Marc-Aurèle[1] ; mais la philosophie, but suprême de la vie, résumé de tout le reste, ne peut guère être enseignée par l’État. En tout cas, cette instruction atteignait bien peu le peuple. C’était quelque chose d’abstrait et d’élevé, qui passait par-dessus sa tête, et, comme d’un autre côté le temple ne donnait rien de cet enseignement moral que l’église a dispensé plus tard, les classes inférieures croupissaient dans un déplorable abandon. Il ne résulte de tout cela aucun reproche contre les grands empereurs qui ne réussirent pas dans la tâche impossible de sauver la civilisation antique. Le temps leur manqua. Un soir, après avoir subi dans la journée l’assaut de déclamateurs qui lui promettaient une gloire infinie, s’il convertissait le monde à la philosophie, Marc-Aurèle écrivait sur son carnet ces réflexions destinées à lui seul[2] : « La cause universelle est un torrent qui entraîne toutes choses. Qu’ils sont naïfs, ces prétendus politiques qui s’imaginent régler les affaires sur les maximes de la philosophie ! Ce sont des enfants qui ont encore la morve

  1. Capitolin, Anton. Pius, 2 ; Philostrate, Vitæ soph., II, ii.
  2. Marc-Aurèle, Pensées, IX, 29.