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son corps, sa manière d’entretenir l’assistance, comment il racontait la familiarité qu’il avait eue avec Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur. Et ce qu’il leur avait entendu dire sur le Seigneur, et sur ses miracles, et sur sa doctrine, Polycarpe le rapportait, comme l’ayant reçu des témoins oculaires du Verbe de vie, le tout conforme aux Écritures. Ces choses, grâce à la bonté de Dieu, je les écoutais dès lors avec application, les consignant non sur le papier, mais dans mon cœur, et toujours, grâce à Dieu, je les recorde authentiquement. Et je peux attester, en présence de Dieu, que si ce bienheureux et apostolique vieillard eût entendu quelque chose de semblable à tes doctrines, il aurait bouché ses oreilles et se serait écrié selon sa coutume : « O bon Dieu, à quels temps m’as-tu réservé, pour que je doive supporter de tels discours ! » et il eût pris la fuite de l’endroit où il les aurait ouïs. »

On voit qu’Irénée ne fait point ici appel, comme dans la plupart des autres passages où il parle du séjour de l’apôtre en Asie, à une tradition vague ; il retrace à Florinus des souvenirs d’enfance sur leur maître commun Polycarpe ; un de ces souvenirs est que Polycarpe parlait souvent de ses relations personnelles avec l’apôtre Jean. M. Scholten a bien vu qu’il faut ou admettre la réalité de ces rapports, ou déclarer apocryphe l’épître à Florinus. Il se décide pour ce second parti. Ses raisons m’ont paru faibles. Et d’abord, dans le livre Contre les hérésies[1] Irénée s’exprime presque de la même manière que dans la lettre à Florinus. La principale objection de M. Scholten se tire de ce que, pour expliquer de telles relations entre Jean et Polycarpe, il faut supposer à l’apôtre, à Polycarpe, à Irénée une extraordinaire longévité. Je ne suis pas très-frappé de cela. Jean

  1. Adv. hær., III, iii, 4.