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la plus belle qui ait jamais été remportée après Marathon et les Thermopyles. À ce point central de toutes les grandes créations grecques, à quelques lieues de Samos, de Cos, de Milet, d’Éphèse, il rêva d’autre chose que du prodigieux génie de Pythagore, d’Hippocrate, de Thalès, d’Héraclite ; les glorieux souvenirs de la Grèce n’existèrent pas pour lui. Le poëme de Patmos aurait dû être quelque Héro et Léandre, ou bien une pastorale à la façon de Longus, racontant les jeux de beaux enfants sur le seuil de l’amour. Le sombre enthousiaste, jeté par hasard sur ces rives ioniennes, ne sortit pas de ses souvenirs bibliques. La nature pour lui, ce fut le chariot vivant d’Ézéchiel, le monstrueux chérub, le difforme taureau de Ninive, une zoologie baroque, mettant la statuaire et la peinture au défi. Ce défaut étrange qu’a l’œil des Orientaux d’altérer les images des choses, défaut qui fait que toutes les représentations figurées sorties de leurs mains paraissent fantastiques et dénuées d’esprit de vie, fut chez lui à son comble. La maladie qu’il portait dans ses viscères teignait tout de ses couleurs. Il vit avec les yeux d’Ézéchiel, de l’auteur du livre de Daniel ; ou plutôt il ne vit que lui-même, ses passions, ses espérances, ses colères. Une vague et sèche mythologie, déjà cabbaliste et gnostique, toute fondée sur la transformation des idées