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le sort naturel de la vertu[1]. Même le sceptique Pétrone, parce qu’il est d’une société polie, ne peut vivre dans un monde où règne Tigellin. Un touchant écho des martyrs de cette Terreur nous est arrivé par les inscriptions de l’île des déportations religieuses, d’où l’on ne revenait pas[2]. Dans une grotte sépulcrale qui se voit près de Cagliari[3], une famille d’exilés, peut-être vouée au culte d’Isis[4], nous a légué sa touchante plainte, presque chrétienne. Dès que ces infortunés arrivèrent en Sardaigne, le mari tomba malade par suite de l’effroyable insalubrité de l’île ; la femme Benedicta fit un vœu, pria les dieux de la prendre au lieu de son mari ; elle fut exaucée.

L’inutilité des massacres se vit du reste clairement en cette circonstance. Un mouvement aristocratique, résidant en un petit nombre de têtes, est arrêté par quelques exécutions ; mais il n’en va pas de même d’un mouvement populaire ; car un tel mouvement n’a pas besoin de chefs ni de maîtres savants. Un jardin où l’on coupe les pieds de fleur

  1. Sénèque, Lettres 4, 12, 24, 26, 30, 36, 54, 61, 70, 77, 78, 93, 101, 102, à Lucilius.
  2. Tacite, Ann., II, 85.
  3. Corp. inscr. gr., no 5759.
  4. Le nom ou plutôt l’épithète de Benedicta, que porte la femme, ainsi que les sculptures de la grotte, inclinent à le croire.