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soldats, marins, etc.) plus grande que chez ceux qui commandent et jouissent. Et cela est presque dans l’ordre, puisque commander et jouir, loin d’aider à la vertu, sont une difficulté pour être vertueux.

Jésus comprit à merveille que le peuple a dans son sein le grand réservoir de dévouement et de résignation qui sauve le monde. Voilà pourquoi il proclama heureux les pauvres, jugeant qu’il leur est plus aisé qu’aux autres d’être bons. Les chrétiens primitifs furent, par essence, des pauvres. « Pauvres » fut leur nom[1]. Même quand le chrétien fut riche, au iie et au iiie siècle, il fut en esprit un tenuior[2] ; il se sauva grâce à la loi sur les collegia tenuiorum. Les chrétiens n’étaient certes pas tous des esclaves et des gens de basse condition ; mais l’équivalent social d’un chrétien était un esclave ; ce qui se disait d’un esclave se disait d’un chrétien. De part et d’autre, on se fait honneur des mêmes vertus, bonté, humilité, résignation, douceur. Le jugement des auteurs païens est à cet égard unanime. Tous sans exception reconnaissent dans le chrétien les traits du caractère servile, indifférence pour les grandes affaires, air triste et contrit, jugement morose sur

  1. Ebionim. Voir Vie de Jésus, p. 179 et suiv., en rapprochant Jac., ii, 5 et suiv. Comp. les πτωχοὶ τῷ πνεύματι. Matth., v, 3.
  2. Voir ci-dessus, p. 357, 362.