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lui, ne protestait pas ; il acceptait son ignominie, et cherchait à en tirer le meilleur parti possible. Il se conciliait la bienveillance de son maître, osait lui parler, savait plaire à sa maîtresse. Ce grand agent de démocratie allait ainsi dénouant maille par maille le réseau de la civilisation antique. Les vieilles sociétés, fondées sur le dédain, sur l’inégalité des races, sur la valeur militaire, étaient perdues. L’infirmité, la bassesse, vont maintenant devenir un avantage, un perfectionnement de la vertu[1]. La noblesse romaine, la sagesse grecque, lutteront encore trois siècles. Tacite trouvera bon qu’on déporte des milliers de ces malheureux : si interissent, vile damnum[2] ! L’aristocratie romaine s’irritera, trouvera mauvais que cette canaille ait ses dieux, ses institutions. Mais la victoire est écrite d’avance. Le Syrien, le pauvre homme qui aime ses semblables, qui partage avec eux, qui s’associe avec eux, l’emportera. L’aristocratie romaine périra, faute de pitié.

Pour nous expliquer la révolution qui va s’accomplir, il faut nous rendre compte de l’état politique, social, moral, intellectuel et religieux des pays où le prosélytisme juif avait ainsi ouvert des sillons que la prédication chrétienne doit féconder. Cette

  1. II Cor., xii, 9.
  2. Tacite. Ann., II, 85.