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TROISIÈME PARTIE

LA LOUVE


I

Revenants et oiseaux de proie.



Nous ne savons pas de tableau plus attristant et plus honteux que celui qui fut offert, pendant la guerre franco-prussienne, par ce coin de Londres qu’on avait surnommé avec mépris « le quartier français ». Commençant à Regent’s street, à la hauteur du Café Royal, et s’étendant autour de Leicester square, on eût dit une succursale du faubourg Montmartre, avec ses escadrons de filles et de gens vivant des plus inavouables métiers.

Ce n’était dans Tichborne, Arundel, Panton et Duck’s streets, ainsi que dans Saint-Martin’s lane, que cabarets, hôtels borgnes, passages obscurs, mauvais lieux de toutes sortes fréquentés par la lie des exilés.

Pour ceux qui passaient le soir, rapides et inquiets, le long des trottoirs de Haymarket et de Regent’s street c’était un navrant spectacle que celui que leur donnaient ces hommes jeunes et robustes qui, après avoir fui les privations du siège, échangeaient avec des femmes les plus obscènes plaisanteries, en argot parisien.

Nous pourrions en citer un trop grand nombre de ces francs-fileurs qui, sans souci de la patrie en deuil, paradèrent pendant six mois dans les salons du West-End ou se grisèrent dans les bouges de Leicester square, au lieu de se battre à l’armée de la Loire, dans laquelle leurs amis croient peut-être encore aujourd’hui qu’ils ont servi jadis.

Ce sont ceux-là surtout qui, dès que la paix fut faite, se hâtèrent de rentrer en France, de regagner Paris, examinant curieusement, le long du chemin et sans que le rouge leur montât au front, les villes dévastées par ces Prussiens… dont ils avaient tant entendu parler.