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III

Un cabinet d’affaires.



Monsieur Pergous, ainsi que l’appelaient respectueusement les époux Dutan, était un de ces hommes d’affaires véreux comme il y en a tant à Paris, où la police les tolère, on ne sait trop pourquoi, mais où la justice les traque de temps à autre.

Huissiers chassés de la corporation, avocats rayés du tableau de l’ordre, condamnés ayant subi leur peine, ils apportent dans les opérations dont ils se chargent une adresse, une rouerie, une connaissance des lois et aussi un mépris du Code pénal qui les rendent terribles pour leurs victimes, même pour leurs clients.

Quelques-uns d’entre eux s’intitulent receveurs de rentes, d’autres tout simplement agents d’affaires.

La plaque de cuivre qui brille comme un phare sur la porte de leur cabinet, mais comme un de ces phares élevés au-dessus des récifs dont les navigateurs doivent se garer, porte orgueilleusement : « Contentieux. » C’est : « Casse-cou » qu’il faudrait lire.

Nul n’a jamais franchi le seuil de ces antres sans y laisser ses plumes.

Si on y pénètre une première fois en qualité de créancier, parfois on ne tarde pas à y revenir en qualité de débiteur. C’est fatal !

L’agent d’affaires est une robe de Nessus. Si on le prend d’abord comme auxiliaire, il ne tarde pas à s’emparer de vous pour vous ronger jusqu’à la moelle.

Certains de ces individus ont un bureau élégant et confortable, avec une demi-douzaine de commis. Ils ont aussi, pour ceux qui n’y regardent pas de trop près, des manières convenables, un ton de bonne société.

D’autres sont misérablement logés, sordidement vêtus, grossiers, d’un aspect repoussant.

Ce sont les premiers surtout qu’il faut craindre. M. Pergous appartenait à cette catégorie d’êtres malfaisants.

C’était un gros homme d’une cinquantaine d’années, brun, haut en couleurs, d’apparence bon enfant, mais qui eût vendu en souriant l’âme de son père. Il affectait parfois des airs dignes et graves, qui trompaient les malheureux livrés à ses tripotages.

Marius Pergous venait de province. Ancien avoué dans une des villes importantes de l’Est, il avait eu maille à partir, d’abord avec le conseil de sa compagnie, ensuite avec la justice. Condamné pour des actes habituels d’usure, il s’était réfugié à Paris, où il avait fondé son cabinet.

Moins de deux années plus tard, il était condamné de nouveau à un an de prison pour escroquerie ; mais, par une indulgence inexplicable, on le laissa en liberté. Car ce triste sire avait des protecteurs.