Page:René de Pont-Jest - Le Serment d’Éva.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa défense, par hasard, parce que je me trouvais là, ainsi que tout autre l’eût fait à ma place. Mais non, ce n’est pas possible !

— Tout est possible, rien n’est improbable, quand des femmes, même les meilleures, sont en jeu. Or tu comprends que si ta passion m’inquiétait déjà par le fait seul qu’elle existait en toi, elle m’inquiète bien davantage encore aujourd’hui que je puis supposer que tu risques de souffrir doublement, soit parce que Mme Noblet devra réintégrer le domicile conjugal, soit parce que, rendue libre, elle n’éprouvera pour toi que de l’amitié, sincère, mais de l’amitié seulement ! Pense à tout cela et arme-toi d’avance contre des déceptions possibles. C’est ce que tu as de plus sage à faire. Si les choses tournent au contraire au mieux de tes désirs, il sera bien temps alors d’ouvrir ton cœur tout entier. Jusque-là, cuirasse-le, si tu le peux encore, de l’æs triplex d’Horace. Les amoureux en ont plus souvent besoin que les navigateurs. Mon sermon est fini ; je te quitte. En prenant toute ma journée, tu as peut- être sauvé quelques-uns de mes malades. Je n’ai que la soirée pour me rattraper. À demain !

Sur cette plaisanterie sceptique, dont il ne pensait pas un mot, le docteur Bernel quitta l’atelier.

Resté seul, Ronçay réfléchit quelques instants et après avoir murmuré : « Oh ! il a raison, il faut que je sache ! » il courut à sa table de travail, y écrivit fiévreusement une lettre qu’il glissa sans la relire sous une enveloppe, comme s’il craignait de ne point oser l’envoyer, et il sonna.