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dans mon amour filial, dans mon respect pour ce qui est honnête, dans ma pudeur, dans mon désespoir de vierge vendue.

— Oh je t’en conjure ! fit Blanche épouvantée et rougissante.

— Non, non, poursuivit la pauvre femme, en baisant la main que la sainte fille avait mise sur ses lèvres pour l’interrompre, non ! laisse-moi tout te dire pour que tu me pardonnes de ne pas céder à ta prière. Est-ce que ta pureté saurait être troublée par le récit de mon martyre ! Oui, vendue ! vendue à moins de seize ans, livrée à un homme de près du triple de mon âge. Tu ne sais pas, toi, dans ta chasteté, ce qu’est ce supplice de l’âme et de la chair ! Ah ! si je m’en étais doutée un seul instant ! Mais, est-ce que je savais ! Notre pauvre mère pleurait en me disant que son mari était menacé de la prison. J’étais folle, et n’avais plus conscience de ce qui se passait. Alors on m’a conduite, où, comment ? je l’ignore, en compagnie de M. Noblet, devant un prêtre que je ne connaissais pas, qui m’a parlé en anglais. Je n’ai rien compris tant j’étais troublée, et je suis sortie de ce cauchemar pour me réveiller dans la honte de ma lâcheté, dans le dégoût de moi-même, dans l’horreur de ma souillure. Alors mon mépris pour celui qui m’avait achetée n’a cessé de grandir jusqu’à l’heure où, après avoir enfanté dans les larmes, j’ai senti que mon invincible répulsion pour mon maître se transformait peu à peu en haine. Le jour où notre mère n’a plus été là pour souffrir de ma