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femme d’un certain âge, honnête et active, que lui avait procurée Mme Bertin, qui s’occupait surtout de son appartement particulier, de son linge et lui préparait son déjeuner, qu’il prenait d’ordinaire chez lui, tandis qu’il dînait toujours dehors, et un nègre nommé Pierre, à son grand désespoir, car le pauvre diable ne pouvait prononcer son nom qu’en l’estropiant, sa langue demeurant rebelle, comme il arrive chez tous les individus de cette race et même pour les Chinois, à l’émission de certaines lettres, et les habitués de l’atelier se donnant fort souvent le plaisir de le mettre aux prises avec les révoltes de ses lèvres africaines contre les mots français où l’r se rencontre.

Fils d’un esclave que l’émancipation avait rendu libre en 1848, mais élevé avec Gilbert, sur la plantation où il était né, Pierre n’avait jamais quitté son jeune maître. Son dévouement pour lui était aveugle. Le sculpteur le surprenait souvent en extase devant sa « Vierge des flots ». Le bon noir savait ce qu’elle devait devenir, et cela lui rappelait les grandes plages pailletées d’or des Tropiques, où, enfant, il s’était roulé.

Quant à l’appartement de Ronçay, il ne se composait que de trois pièces : une salle à manger, une chambre à coucher et un grand cabinet de toilette, le tout meublé sévèrement, car il prisait peu le luxe efféminé et les bibelots inutiles ; et comme cet appartement avait une porte sur le palier du premier étage, en face de celle de Mme Bertin, il pouvait