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lorsque sa pirogue avait sombré, était l’objet d’une surveillance spéciale.

« J’avais essayé vainement de le faire parler ; il avait conservé un profond mutisme, dont il n’était sorti, à divers intervalles, que pour échanger avec ses compagnons, d’une voix rapide et vibrantes, certaines phrases que je n’avais pu comprendre.

« Cependant tous les Thugs ne devaient pas être aussi muets ni aussi discrets qu’Hyder-Ali.

« Selon les instructions qui m’avaient été données, je fis savoir le soir même à un certain nombre d’entre eux que ceux qui me donneraient des renseignements importants auraient la vie sauve.

« Presque immédiatement vingt délateurs s’offrirent.

« Je dois à l’un d’eux, Ouddein-Sabi, une capture des plus importantes, celle du brahme Assounee, que j’allai arrêter moi-même au commencement de la nuit.

« J’avais pris avec moi une douzaine d’hommes ; Ouddein-Sabi nous servait de guide.

« Après un quart d’heure de marche, nous arrivâmes à la demeure du brahmine.

« Aucune lumière ne brillait à l’intérieur, et j’hésitai un instant. Une grossière idole de Vischnou, adossée au mur, à côté de la porte, semblait protéger cette demeure.

« Je fis surveiller les issues de la maison et frappai à la porte.

« Quelques secondes se passèrent sans qu’on me répondit.

« Je frappai une seconde fois de la poignée de mon sabre ; j’entendis alors aller et venir dans la maison et parler à voix basse.

« J’allais donner à deux de mes hommes l’ordre d’enfoncer la porte, lorsqu’elle s’ouvrit ; et un grand vieillard, dont la barbe blanche descendait jusqu’à sa poitrine, s’inclina respectueusement devant moi en demandant ce que je désirais.

« — Au nom de Vischnou, dit-il, ma maison vous est ouverte ; entrez, seigneur, et reposez-vous sous mon toit.

« Sa voix était douce, suppliante. On eût dit le plus innocent des prêtres.

« Sans lui répondre, je le repoussai à l’intérieur de sa maison et lui dis brusquement ce que je savais de lui et ce que j’en voulais faire.

« Il se mit immédiatement à trembler sans pouvoir prononcer une parole, et sa femme et ses enfants, qui s’étaient réveillés, se jetèrent à mes pieds en protestant de l’innocence du vieillard.

« J’étais indécis, et peut-être allais-je remettre son arrestation à un autre moment, lorsqu’un cri terrible, poussé derrière moi, me fit retourner.

« C’était Ouddein-Sabi qui venait d’être mortellement frappé, dans le ventre, d’un coup de poignard par un des fils du brahmine.