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« Notre prisonnier nous avertit que nous n’avions pas longtemps à attendre ; les Étrangleurs lui paraissaient au complet, il reconnaissait les principaux de leurs chefs.

« Malgré la fumée qui s’élevait du centre de la clairière et qui parfois arrêtait nos regards, nous pûmes, dès cet instant, suivre assez bien toutes les scènes de ces horribles mystères.

« Tout d’abord nous retînmes un cri d’horreur.

« Un énorme bûcher, amas informe auquel nous n’avions pu donner de nom, s’élevait au milieu d’un grand trou creusé dans le sol.

« Ces hommes, que nous pouvions distinguer maintenant, y mettaient la dernière main en l’arrosant d’huile et de beurre clarifié.

« Des prêtres, n’ayant pour tout vêtement que leurs pagnes de mousseline blanche, des chefs aux longs cheveux flottant sur les épaules, les excitaient au travail.

« Le silence de ce lugubre prélude au drame que nous allions voir se dérouler sous nos yeux n’était troublé, à longs intervalles, que par le cri rauque du guamala, l’oiseau-diable.

« À quelques pas de nous était un Thug, placé en sentinelle. Celui-ci allait et venait, passant souvent sous les branches des grands arbres qui nous abritaient. Je ne comprenais pas qu’il ne nous eût pas encore aperçus ou tout au moins entendus.

« En tout cas, il fallait, à tout prix, nous défaire de cet espion. Le soldat que j’avais envoyé à mon lieutenant Paterson, pour lui ordonner de me rejoindre avec des renforts, ne pouvait tarder à revenir ; la sentinelle et lui allaient peut-être se trouver face à face. Tout alors serait perdu !

« J’étais fort embarrassé et très-inquiet ; je me demandais comment nous allions nous tirer de ce mauvais pas, lorsque le sergent Swift, qui s’était glissé jusqu’à moi, me dit à voix basse :

« — Colonel, je vais vous débarrasser de cet homme, sans qu’il puisse pousser un cri, ni donner l’éveil.

« Quoique je ne pusse me rendre compte des moyens que Swift voulait employer, sachant qu’on pouvait avoir toute confiance en son adresse et dans sa force, je lui fis signe d’agir à sa guise.

« Cependant la sentinelle, tout en faisan quelques pas à droite et à gauche, ne quittait pas du regard la masse des banians, et elle s’efforçait toujours d’en sonder les ombres épaisses.

« Swift, profitant d’un moment où la brise agitait plus fortement le feuillage, s’était glissé comme un chat jusqu’au-dessus de la tête de l’Hindou.

« L’extrémité du fusil de ce dernier était presque à portée de sa main.

« Dans cette situation critique, j’attendais sans comprendre encore.