Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/518

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personnage qui venait d’entrer dans le salon où s’entretenaient les deux jeunes filles.

C’était le comte de Villaréal, que Yago avait averti de la visite de la sœur d’Edgar et qui de la chambre voisine avait tout entendu.

— Trop tard ! répéta miss Emma en pâlissant.

— Oui, miss, la reine a refusé ce matin d’user de son droit de grâce en faveur de James Davis.

— Mais cela est affreux, monsieur ! Vous ne savez dont pas que James est le plus honnête des hommes, qu’il est la victime de deux misérables qui, ne pouvant être sauvés, ont voulu le perdre avec eux, que mon père le hait parce qu’il m’aime ?

— Et surtout parce que vous l’aimez ! Pardonnez-moi, miss, je sais tout cela. Je sais aussi que vous êtes une noble et courageuse jeune fille, et je vous jure que si quelque chose était encore possible pour ce malheureux, je n’hésiterais pas à le tenter. Mais je vous l’ai dit : il est trop tard ! C’est la fatalité qui veut que, dans ces soulèvements populaires, comme si l’heure n’en était pas encore sonnée, les bandits creusent des abîmes de boue et de sang, où ils entraînent avec eux les rêves généreux et les âmes honnêtes.

C’était à lui-même surtout que Villaréal, le front soucieux et l’œil voilé, adressait ces dernières paroles.

On eût dit que sa pensée, se détachant de ce drame intime dont il était témoin, planait dans des sphères supérieures, et que ce qui se passait près de lui n’était qu’un point imperceptible dans cet espace immense que voulait embrasser son esprit.

— Il n’y a plus d’espoir ! dit miss Emma d’une voix étranglée et en se laissant diriger par Saphir vers un fauteuil dans lequel elle tomba pâle et mourante. Plus d’espoir !

— Je n’en vois pas, miss, répondit le comte, rappelé à lui par ce cri de douleur.

— Ainsi, continua la jeune fille, l’honnête homme que ces juges aveugles ont condamné mourra comme un voleur et un assassin, sur un échafaud infâme. Le bourreau lui mettra la main sur l’épaule ; sa mémoire sera flétrie ; et moi qu’il a sauvée deux fois, moi qui l’aime, qui donnerais ma vie pour la sienne, je ne puis rien pour lui, rien !

— Pardon, miss, vous pouvez encore beaucoup pour cet infortuné, reprit Villaréal avec un accent étrange, mais il vous faudra du courage.

— Oh ! j’en aurai, monsieur, s’écria la fille de M. Berney en se levant brusquement ; que faut-il faire ?

— Je vous le dirai quand le moment sera venu, mais ayez foi dans ma