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— Comte ! interrompit Saphir en baissant les yeux.

— Oh ! ce n’est pas un reproche que je vous adresse, ma pauvre enfant ; je sais que votre existence vous a été faite ainsi par les méchants et la fatalité ; mais vous avez trouvé en moi un ami qui ne vous abandonnera jamais.

Après ces premiers mots d’explication, Villaréal raconta rapidement à Saphir de quelle machination infernale sa mère avait été victime et les conséquences terribles qui s’en étaient suivies, sans lui dire toutefois que le complice de cet odieux attentat était là, près d’elle, la dévorant du regard et s’imposant comme châtiment de ne jamais l’appeler sa fille.

En effet, pendant que cet entretien avait lieu entre le comte et la jeune femme, Harris, les yeux fixés sur l’enfant de son crime, s’efforçait de retenir ses larmes, car il tremblait, lui, le sceptique et le misérable d’autrefois, d’entendre sortir de la bouche de la courtisane la malédiction qu’il méritait si bien.

Il craignait surtout d’être deviné par elle, ce qui lui eût fait perdre à jamais l’espoir de devenir le protecteur de celle dont il ne pouvait s’avouer le père.

Quant à lady Maury, enfouie dans un grand fauteuil et la tête entre ses mains amaigries, elle était retombée dans l’immobilité et le mutisme.

Les vains efforts tentés par son cerveau l’avaient accablée. De nouveau elle était seule, dans l’isolement de sa folie.

— Ce n’est pas tout, Sarah, car c’est le nom que vous devez reprendre et porter désormais, continua le comte ; vous avez une sœur.

— Une sœur ! exclama la pauvre fille.

— Oui, une sœur aînée. Ah ! ne craignez rien : elle vous aimera comme son enfant et remplacera pour vous la mère qui n’a pu vous protéger et vous défendre. Laissez-moi la prévenir. Dans peu d’instants je vais l’amener près de vous.

Et après avoir, une dernière fois, pressé avec affection les mains de Saphir, Villaréal fit signe à Harris de l’attendre et disparut par la porte qui conduisait dans l’appartement de la comtesse.

Ada dormait au moment où il entra dans sa chambre à coucher.

L’espoir que son mari lui avait donné lui avait permis pour la première fois depuis bien longtemps de trouver un peu de sommeil.

Aussi fut-elle singulièrement surprise lorsque, réveillée doucement par lui, elle le vit à son chevet.

— Qu’y a-t-il donc de nouveau, mon ami ? demanda-t-elle en levant vers lui ses grands yeux interrogateurs.

— Il y a, ma chère Ada, répondit le comte, que j’ai tenu ma promesse.

— Ma mère ?

— Votre mère est là, chez vous, mais il va vous falloir du courage, la