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Ses amis eux-mêmes, Albert Moore surtout, ne purent s’empêcher de remarquer ses inquiétudes.

On n’ignorait pas que le gentilhomme vivait au plus mal avec sa femme, mais on ne savait rien cependant de la scène violente qui avait eu lieu entre eux, ni de toutes celles qui avaient suivi.

Sir Arthur avait été vu si souvent aux prises avec les difficultés d’argent qu’on ne s’arrêta pas un instant à supposer qu’une nouvelle crise pécuniaire était la cause de son spleen.

Du reste, on ne pensait pas qu’en si peu de temps il eût déjà fait disparaître dans le gouffre de sa vie dissipée les trois millions que son mariage lui avait mis entre les mains.

Albert Moore seul connaissait à peu près sa situation pécuniaire ; mais, criblé de dettes lui-même, poursuivi à outrance par ses créanciers, qui menaçaient en même temps son honneur et sa liberté, abruti le plus souvent par l’ivresse et sentant sa haine pour sir Arthur augmenter chaque jour, il évitait, au contraire, de savoir ce qui se passait dans le ménage du baronnet.

En effet, le nom de lady Maury réveillait toute sa passion, et le misérable, chassé de cette seule partie de l’hôtel où il aurait voulu se glisser, errait parfois sous les fenêtres de la jeune femme, la tête en feu, l’esprit en délire, n’osant s’avouer à lui-même qu’il la voudrait posséder, fût-ce au prix d’un crime.

Après ces nuits fiévreuses, terribles, qu’il terminait le plus souvent dans quelque taverne, il restait parfois plusieurs jours dans un état de prostration dont rien ne pouvait le tirer.

Puis, ces moments d’anéantissement passés, il retournait à son cercle, où il retrouvait sir Arthur, avec qui il avait le triste courage de plaisanter et de boire.

Un soir, il n’y rencontra pas le baronnet qui y dînait cependant presque chaque jour ; et les convives ne manquèrent pas de s’entretenir longuement de l’absent.

Plusieurs fois même, le nom de lady Maury fut prononcé, et Albert, pour s’étourdir, but tant et si bien qu’il pouvait à peine se tenir sur ses jambes lorsqu’il sortit de table.

Instinctivement alors, plutôt que par réflexion, il se dirigea vers l’hôtel de sir Arthur.

Il ne se doutait pas qu’il allait trouver son ami plus exaspéré, plus furieux peut-être que jamais.

Le baronnet avait dîné seul, chez lui, en proie aux plus amères réflexions, et après son repas, il avait tenté de demander à sa femme quelques expli-