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contre les vagues et qui, cependant, sous les efforts de ses rameurs, approchait rapidement.

Bientôt, en effet, il fut à la portée de la voix.

Un de ses hommes saisit adroitement au vol l’amarre jetée par un des matelots du paquebot, et l’embarcation accosta.

À son arrière se tenait mollement étendu sur un tapis soyeux, enveloppé dans de riches cachemires, un homme jeune au teint bronzé et à cette physionomie indolente qui est le signe caractéristique de la race hindoue.

Il se leva et, appuyé sur l’épaule de l’un de ses serviteurs, se mit à gravir à pas lents l’escalier qui montait jusqu’à la coupée du bâtiment.

Quelques-uns de ses gens seulement le suivirent ; les autres étaient restés dans le canot, attendant sans doute l’ordre de pousser au large et de rejoindre la terre.

Après avoir répondu par un simple mouvement de tête au salut du capitaine qui venait de donner l’ordre de se remettre en route, l’Hindou se dirigea vers l’arrière, monta sur la dunette et ne s’arrêta qu’à quelques pas de l’étrangère, qui, après un regard furtif vers lui, détourna la tête.

Le Sind s’était remis en marche et, soulevant avec son étrave des flots d’écume, il gagnait la sortie de la rade où la mer, resserrée, se démenait furieuse, chassée par la houle du large.

Cependant, il entraînait toujours, attachée à son arrière par sa remorque, cette légère embarcation qui menaçait d’être engloutie dans son sillage.

On se demandait à bord ce qu’attendaient ces hommes et pourquoi ils s’exposaient ainsi à un danger qui grandissait au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient davantage du rivage, et on supposait qu’ils allaient, eux aussi, s’embarquer, mais seulement lorsque le Sind serait dans des eaux plus calmes et qui permettraient de hisser le canot sur le pont.

Aussi ce fut un cri d’effroi général lorsqu’au moment où le paquebot, traversant la barre qui, dès qu’il fait gros temps, s’élève à l’entrée du goulet, on vit la remorque se tendre violemment, puis se rompre, et la frêle embarcation rester seule au milieu de cette mer déchaînée.

Le capitaine s’était à peine rendu compte de ce qui venait de se passer, que le Sind, qui marchait à toute vapeur, était déjà trop loin pour porter secours au canot.

Le soleil venait de percer les brumes du matin et inondait l’espace de lumière.

À travers les montagnes d’écume, on pouvait suivre les moindres gestes des malheureux que la mort menaçait.

Ils avaient saisi leurs avirons, et pendant quelques instants, ils réussirent à se tenir debout à la lame.

Ce n’était qu’un instant de répit que leur accordait le ciel.