Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

main, et le bras resta étendu dans le vide au lieu de retomber inerte le long du corps.

Il dut l’abaisser doucement lui-même pour lui faire reprendre sa première position, et il sembla à miss Ada que comme un gémissement s’était fait entendre dans l’articulation de l’épaule du mort.

On eût dit le bruit que fait une charnière rouillée.

Le visage du prêtre s’était illuminé de joie.

Les yeux de Nadir étaient entr’ouverts, les Hindous n’ayant pas l’habitude de les fermer aux trépassés ; Nanda en releva complètement les paupières.

Les prunelles étaient éteintes et rapprochées du nez, comme dans le double strabisme convergent.

Il les referma, et pendant quelques instants y passa le pouce et chacune de ses mains en les frottant lentement, puis plus rapidement ensuite, du dedans au dehors.

Lorsqu’il les rouvrit, la prunelle avait repris sa position normale.

L’œil était fixe, moins vitreux ; il semblait vivre.

Miss Ada étouffa un cri de terreur ; Sita se pencha sur le corps, suivant le prêtre dans chacun de ses mouvements.

Après avoir desserré les dents de Nadir avec un poignard, Nanda fit glisser entre ses lèvres quelques gouttes d’une liqueur rouge et d’une odeur balsamique.

Ensuite il se mit à masser ses muscles avec une extrême vigueur, en commençant par ceux de l’estomac.

Puis sur le cou, ombré déjà de larges taches scorbutiques, il se livra à des passes magnétiques et à des frictions longuement répétées.

Tout à son œuvre, le brahmine ne prononçait pas une parole. Les deux femmes osaient à peine faire un mouvement et retenaient leur haleine.

Roumee lui-même, abandonnant son immobilité, s’était rapproché.

Tout à coup ce masque de cire qui semblait recouvrir le visage de l’exhumé eut comme un tressaillement nerveux, et, en même temps que sa mâchoire inférieure rejoignait la supérieure avec un petit bruit sec des dents contre les dents, celui de ses bras que le brahmine avait de nouveau soulevé et laissé en l’air, redescendait graduellement, par un mouvement lent et continu, le long de son corps.

Sita et l’Anglaise eurent un même élan pour se jeter sur lui, mais Nanda les arrêta du geste, et, la physionomie radieuse, il reprit avec ardeur son massage et ses frictions.

Il continua ainsi pendant près d’une heure.

Les chairs du mort semblaient, sous les doigts nerveux du vieillard, se raffermir et se colorer.