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— Nous sommes prêts, miss, répondit Roumee.

— Tu es sûr de ces hommes ?

— Ce sont deux pauvres parias ; il mouraient de faim à la porte de la pagode ; je n’ai eu aucune peine à les décider à me suivre.

— Ils savent ce qu’ils auront à faire ?

— Ils le savent, miss, et comme je leur ai promis de doubler leur salaire si je n’avais pas à me plaindre d’eux, ils obéiront aveuglément.

— As-tu prévenu Nanda, le brahmine ?

— Il est déjà dans la maison que j’ai louée derrière le temple de Rama.

— C’est bien. Fais cacher ces hommes et attendons !

Roumee venait à peine de se glisser avec ses compagnons derrière un épais bosquet d’aloès, où miss Ada l’avait suivi, qu’il l’avertit que des bruits de pas se faisaient entendre sur la route.

Le cipaye ne s’était pas trompé.

Quelques secondes à peine s’étaient écoulées qu’il reconnaissait la voix du gros Stilson, maudissant l’orage et la corvée dont on l’avait chargé.

Presque aussitôt, la porte du cimetière se rouvrit, et le cortège en franchit le seuil.

Quatre robustes Bengalis portaient la bière sur leurs épaules ; Sania les précédait, une torche de résine d’une main et ses instruments de fossoyeur de l’autre.

Ensuite venait Sita, brisée de fatigue et de douleur, puis les huit soldats anglais que commandait un sous-officier, et enfin Stilson qui semblait ne plus pouvoir mettre un pied devant l’autre.

Ils se dirigèrent vers l’extrémité du cimetière.

En passant devant les arbres où il supposait que la jeune fille était cachée, Sania y jeta un regard furtif, comme pour lui dire de le suivre, mais miss Ada ne voyait que le cercueil, et lorsqu’elle s’aperçut qu’une femme l’accompagnait, elle étouffa un cri d’étonnement.

— Quelle est cette femme, Roumee ? demanda-t-elle à l’Hindou, en étendant vers Sita une main tremblante.

Une pensée terrible venait de lui traverser l’esprit.

— Mais je ne sais, lui répondit le Mahratte, aussi surpris que sa maîtresse : une pleureuse, une servante, peut-être bien.

— Elle n’est pas vêtue comme une servante. Viens vite ! la présence de cette femme m’inquiète.

Elle entraîna Roumee et ses deux hommes, et suivit les porteurs en se cachant derrière les arbres.

Elle ne quittait pas des yeux Sita qui, la tête courbée, se voilait la figure de ses deux mains.