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Le cipaye montrait à la jeune fille une grosse bouteille de whisky qu’il cachait sous son vêtement.

— C’est bien, tu es un brave garçon ; je ne serai pas ingrate.

— Je suis payé d’avance, miss, et j’aime Sabee cent fois plus depuis qu’elle m’a fourni l’occasion de vous prouver que l’Hindou n’oublie pas un bienfait. Un jour que, pour une faute légère, j’avais été condamné à recevoir cinquante coups de fouet, vous avez demandé et obtenu ma grâce. Je m’en souviens !

— Ne parlons plus de cela et va nous attendre à la petite porte du jardin. Sabee, donne-lui-en la clef.

— Il en a une, maîtresse, répondit étourdiment la jolie Mahratte.

— Comment, il en a une ? dit Ada.

— Oh ! pardon, reprit la jeune fille en baissant la tête, mais Roumee et moi nous nous aimons tant !

— Ce n’est pas le moment de vous gronder, interrompit en soupirant miss Ada ; hâtons-nous ! Va, Roumee… et sers-toi de ta clef.

L’Hindou était à peine hors de sa chambre que la fille de sir Arthur avait déjà laissé tomber son peignoir, et qu’aidée de Sabee, elle procédait à son déguisement.

Dix minutes au plus suffirent à sa transformation, malgré son inexpérience et celle de sa femme de chambre.

Le costume d’aide de camp, fait sur les mesures données par Sabee, lui allait à merveille ; jamais la garnison d’Hyderabad n’avait possédé un aussi gracieux officier.

Grâce au mode de coiffure adopté dans la colonie pour préserver le cou des ardeurs du soleil, elle avait pu dissimuler ses longs cheveux dans qu’il lui eût été nécessaire de recourir au sacrifice qu’elle était disposée à accomplir.

Sabee ne lui cachait pas son admiration, mais Ada l’écoutait à peine, pressée qu’elle était de s’échapper et craignant toujours que quelque nouvel obstacle vint s’opposer à son départ.

— Je suis prête, éclaire-moi, dit-elle à Sabee en bouclant son ceinturon et en s’enveloppant dans un large manteau qui devait dissimuler ce que sa démarche avait de peu militaire.

Quelques instants après, elles avaient gagné, par l’escalier de service, la porte de la maison qui ouvrait sur le vaste jardin de l’hôtel.

La nuit était profonde, car depuis quelques instants la lune s’était cachée derrière les gros nuages noirs que chassait l’orage, et les ombres des massifs étaient tellement épaisses que les deux femmes distinguaient à peine le sable de l’allée qui conduisait à la porte où Roumee les attendait.

— Remonte, dit Ada à Sabee, en s’enfonçant résolûment sous les grands