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« Lady Melvil, folle de terreur, suppliait le Télinga de lui rendre son enfant.

« Mais l’Hindou, sans répondre, marchait toujours.

« Soudain, Ada poussa un cri désespéré.

« Lady Melvil voulut s’élancer ; mais rencontrant le regard froid et incisif de son serviteur, elle tomba à genoux en murmurant :

« — Grâce, Soulami, grâce !… Mon enfant !

« Elle se traînait à ses pieds.

« Je ne suis pas Soulami, ton esclave, dit le misérable en repoussant la jeune femme ; je suis Schubea, le sectateur de Kâli. Ada est bien heureuse ; elle est maintenant dans le ciel, et son âme viendra sur la terre me donner des songes dorés pour me remercier de l’avoir délivrée. J’aimais autant que vous notre chère Ada ; je l’aimais mieux que vous, car j’ai fait son bonheur !

« Et il jeta dans les bras de lady Melvil le corps inanimé d’Ada, sur le cou de laquelle les rayons de la lune laissaient voir une trace bleuâtre qui en faisait le tour.

« Il l’avait étranglée.

« Le cadavre et la mère roulèrent dans l’herbe de la prairie, et le meurtrier s’élança au plus profond de la forêt.

« Le misérable n’avait soigné et sauvé cette enfant que pour que le sacrifice en fût plus agréable à sa divinité sanglante ! »


L’auditoire épouvanté jeta un cri d’horreur, et pendant quelques minutes ce fut comme un concert de malédictions contre la mémoire de l’infâme.

Puis l’attention se porta de nouveau vers l’attorney qui, après un instant de repos, reprit en ces termes :

— Tout cela est horrible, hideux, incroyable, et cependant tout cela est vrai : vous pourrez en juger, si le chef que nous avons entre les mains tient ses promesses et nous dévoile tous les mystères de cette infernale association.

« N’était-il pas nécessaire, messieurs, pour que l’horrible ne vous menât pas à l’incrédulité, que vous eussiez un léger aperçu de ces mœurs, nées du fanatisme, de l’amour du sang et du pillage ?

« N’est-il pas temps que l’Inde civilisée se lève tout entière, se réveille de son trop long sommeil pour poursuivre, saisir et punir sans trêve ni pitié ces sectateurs d’une divinité au culte de laquelle chacun de nous peut-être doit la perte d’un être aimé ?

« Que rien donc ne nous arrête dans notre tâche ; c’est l’humanité qui nous appelle à son secours ; c’est la religion qui nous commande, c’est le salut de notre puissance en Asie qui nous l’ordonne ! »