Je ne pouvais faire un pas sans être escortée de deux ou trois Thugs. J’étais devenue la proie de ces démons, leur chose, leur instrument, leur esclave !
— C’était la conséquence de votre première faute ; il fallait tout dire pour expier ce crime odieux.
— Oui, mylord, oui, je suis une misérable créature ; mais vous ne sauriez imaginer un supplice aussi cruel que ma vie depuis trois ans. Et il me fallait paraître heureuse. Je devais sourire ou mourir ! Oh ! quelle existence ! Du sang, je voyais du sang partout ! Il y a longtemps que je ne dors plus. La nuit, il me semble entendre des râles d’agonie, je crois voir se lever ceux qui sont couchés sous la terre, dans mon jardin !
« Et nul moyen de résister. Celui que Feringhea me désignait, je devais l’inviter à souper. S’il venait… malheur à lui ! On mêlait aux vins une drogue étrange qui rend fou d’abord et qui bientôt endort d’un sommeil de plomb, et alors, oh ! alors…
À ce moment, la fièvre nerveuse qui soutenait miss Clara l’abandonna peu à peu ; elle éclata en sanglots et tomba à genoux en criant d’une voix déchirante :
— Grâce, mylords, faites-moi grâce !…
— Relevez-vous, miss Trevor, et achevez votre déposition.
— J’ai tout avoué, murmura la misérable toujours à genoux, je ne sais rien de plus, absolument rien : je dormais, moi aussi !
— Je dois affirmer à la cour, dit Bon Lantern, assis au banc des témoins, que condamnée à boire le même vin que ses victimes, comme elles, miss Clara était en léthargie lorsque les Étrangleurs arrivaient.
— Soit ! dit sir G. Monby, c’est elle en tout cas qui, sachant le départ de sir Harry Temple pour sa maison de campagne, a prévenu les Thugs qui ont ainsi dressé leur embuscade et massacré toute une famille.
— Je ne pouvais pas prévoir le sort réservé à sir Harry. Il m’avait avertie de son départ, j’en ai parlé sans intention mauvaise.
— Vous avez entendu, Feringhea, qu’avez-vous à répondre à cette déposition ?
— Rien, répondit avec hauteur Feringhea, sinon que je ne connais pas plus cette femme que cet homme, qui prétend avoir été le ketmagar (serviteur de table) chez Goulâb.
— Alors, comment a-t-on pu trouver chez miss Clara des objets reconnus pour vous appartenir, et, entre autres, ce poignard et ce sceau ?
Et un huissier, sur l’ordre du noble lord, présenta à Feringhea les pièces de conviction.
— Ces objets sont en effet à moi, dit Feringhea sans hésitation, je ne