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À trois heures et demie, le tribunal entra en séance.

— Messieurs les juges, dit sir Georges Monby, on m’a remis hier soir une lettre sans signature, par laquelle un sujet anglais demande à être entendu. Il m’annonce qu’il se trouvera dans la salle à l’ouverture de l’audience. Si l’auteur de cette lettre m’entend, je lui enjoins de se présenter.

À ces mots, un homme de haute taille, assis sur le premier banc, se leva.

Son visage était caché par un de ces voiles comme les Européens en portent volontiers dans l’Inde pour préserver leurs yeux des rayons du soleil.

— Je vous engage, monsieur, à lever votre voile, dit le président à l’inconnu.

Celui-ci obéit et un mouvement de surprise agita aussitôt la foule.

On reconnaissait un honorable gentleman, sir Harry Temple, qui avait disparu depuis trois mois avec toute sa famille, composée de sa femme, de ses deux filles, âgées, l’une de quinze ans, l’autre de dix-sept ans, et un de ses frères, sir Georges Temple. On en était encore à s’expliquer la disparition de tant de personnes.

— Vous êtes bien sir Harry Temple, que tout le monde pensait mort ? demanda sir Georges Monby au témoin.

— Oui, sir, répondit-il.

L’état de l’infortuné gentleman expliquait la question du président. Ce n’était pas un homme, c’était un spectre qui allait déposer.

— Pouvez-vous nous dire, lui demanda le magistrat, ce que vous êtes devenu ainsi que toute votre famille depuis trois mois ?

— Mylord, répondit sir Harry, j’étais ainsi que les miens prisonnier des Thugs. Seul, j’ai réussi à m’échapper de leurs mains ; aujourd’hui je viens réclamer justice.

— Parlez.

Un silence profond se fit immédiatement et le témoin commença d’une voix faible, sa déposition en ces termes :

— Il y a trois mois, un dimanche matin, je partis avec ma femme, mes deux filles, mon frère George et une femme de chambre, pour me rendre à ma maison d’été, à deux lieues d’ici. Nous occupions tous un breack attelé de trois chevaux que je conduisais. Nous étions arrivés à moitié route à peu près, lorsque le cheval de flèche se cabra et refusa d’avancer. C’était un animal fort doux et son caprice m’étonna. Mes efforts pour le faire marcher étant inutiles, je descendis et confiai les guides à mon frère. Mais, j’avais à peine mis pied à terre, qu’assailli par trois hommes, je fus renversé, lié et bâillonné avant d’avoir eu le temps de prononcer une seule parole.

— D’où sortaient ces hommes ?