Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Elles étaient toutes jeunes et d’une grande beauté ; leurs longues chevelures déroulées, descendaient jusqu’à terre. Elles formaient un groupe si merveilleux, que, malgré la gravité de la situation, je ne pouvais m’empêcher de les contempler ; mais j’étais bien décidé à ne laisser commettre aucun attentat ni contre la pudeur ni contre la vie de ces malheureuses, dont les parents pleuraient sans doute déjà la mort.

« Je fus rassuré tout d’abord. Le gooroo réprima les exclamations de quelques-uns de ces hommes et les menaça de la colère de Kâly, c’est-à-dire d’un supplice horrible, s’ils troublaient « le sacrifice des chevelures » par un geste inconvenant, par une parole indécente.

« Puis, il dit aux femmes qu’elles n’avaient rien à craindre si elles ne poussaient ni un gémissement ni un cri, si elles ne versaient pas une larme pendant qu’elles formeraient le tapis sacré.

« — Soyez fières, leur dit-il, dans un élan d’enthousiasme, car vous avez été choisies entre les plus belles femmes pour former chaque soir le tapis vivant consacré à la toute-puissante épouse de Schiba, à l’immortelle Kâly.

« Je compris bientôt ce que cela signifiait.

« À l’ordre de gooroo, vingt femmes se couchèrent l’une contre l’autre sur une même rangée. Leurs chevelures, étendues sur le sol, formaient une gamme harmonieuse de couleurs.

« Quand cette première rangée fut bien en ordre, et que les cheveux des malheureuses qui la composaient furent bien régulièrement allongés, le gooroo fit coucher les vingt autres femmes de l’autre côté, de telle sorte que leurs chevelures vinssent rejoindre celles de leurs compagnes.

« C’était vraiment un tableau extraordinaire.

« Chaque femme avait ramené ses mains sur sa poitrine. Elle n’osaient se plaindre, ni pleurer ; mais les battements précipités de leurs cœurs disaient ce qu’elle devaient souffrir.

« Ces dispositions prises, les Thugs se prosternèrent devant l’ignoble image de Kâly, dont les formes monstrueuses faisaient un si étrange contraste avec les quarante statues vivantes étendues sur le sol.

« Le gooroo entonna une prière et célébra les vertus de la cruelle divinité.

« Les Thugs se relèvent, et le chef mit le pied sur le tapis épais, moelleux et parfumé. Tous les sectateurs de Kâly le suivirent.

« Au contact odieux de ces hommes, qui les souillaient de leurs pieds nus, un frisson d’horreur parcourut toutes ces femmes.

« Cependant aucun cri ne se fit entendre, mais à mesure que cette hideuse procession avançait, les poitrines se soulevaient plus vite, on entendait, pour ainsi dire, battre les cœurs de ces pauvres créatures, dont plusieurs ne pouvant supporter plus longtemps cette profanation, éclatèrent en sanglots.