Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compagne bien-aimée. C’est que j’avais signé mon œuvre, moi aussi, et je l’avais signée : « le Chasseur de Thugs. »

À ce souvenir évoqué par le témoin, le jemadar Hyder-Ali poussa un cri de rage et se dressa comme pour s’élancer hors de son banc, mais les gardes le forcèrent à se rasseoir.

— Est-ce tout ? demanda le président à Jabez qui n’avait pas même retourné la tête.

— Oh ! non, mylord, j’arrive maintenant au point le plus important de ma déposition.

« Le jour même de la mort de Mézibé, j’abandonnai ma cabane, et je choisis pour retraite une caverne voisine de la mer et située dans les environs de Mavalipouram, la ville morte. Les Thugs s’y réfugiaient souvent.

« Cette caverne a deux issues, l’une au sud, l’autre à l’ouest. Cette dernière débouche sur un sentier très-étroit qui surplombe un immense précipice.

« Afin de surprendre les secrets de mes ennemis, j’avais creusé moi-même, de l’extérieur à l’intérieur, une troisième entrée donnant accès par un boyau jusqu’à un petit observatoire pratiqué dans l’une des parois de la voûte et masqué par de la mousse.

« De cet observatoire, je pouvais voir et entendre tout ce qui se passait dans la caverne. C’est de là que j’ai assisté à l’horrible scène que je vais vous raconter.

« Huit jours avant l’attaque dirigée contre le capitaine Buttler, alors que vous n’aviez pas encore organisé en grand la battue que je faisais tout seul, je me trouvai, vers dix heures du soir, embusqué à cent mètres environ de la caverne. Soudain j’aperçus, au clair de la lune, une dizaine de Thugs qui en sortaient et prenaient rapidement le chemin de Madras. Ces dix Thugs avaient chacun un long roseau à la main.

« C’était l’heure favorite pour leurs expéditions, et je supposai qu’ils allaient me fournir l’occasion de les surprendre isolément. Armé du gros bâton qui ne me quittait jamais, je les suivis à distance.

« Jusqu’aux premières maisons de Madras, la bande marcha d’un pas rapide, puis elle s’arrêta, et après s’être consultés pendant quelques instants, les Étrangleurs se dirigèrent un par un vers le mur d’une habitation éclairée.

« Dès qu’ils furent tous cachés dans l’ombre, profitant d’un exhaussement de terrain, j’allai me poster derrière le mur opposé, qui était, comme le premier, à hauteur d’homme.

« Là, je vis au rez-de-chaussée de l’habitation quatre dames et trois gentlemen assis dans un salon, autour d’une table à thé que dominait un lustre étincelant.

« J’avais à peine fini de me demander quel pouvait être le projet des