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ton qu’il s’efforçait de rendre gai, tu es nerveuse et découragée aujourd’hui. Il ne faut pas te laisser abattre ainsi.

« Mais la force trompeuse qui, durant quelque temps, avait soutenu Ada, déclinait avec rapidité. On entendait de jour en jour plus rarement son pas léger sur la vérandah, et plus souvent aussi, on la trouvait couchée sur sa petite chaise longue, auprès de la fenêtre ouverte, ses grands yeux profonds fixés sur les eaux mouvantes du lac.

« Soulami était souvent dans la chambre d’Ada. L’enfant souffrait d’angoisses nerveuses et trouvait du soulagement à se faire promener.

« Le plus grand plaisir de l’Hindou était de porter dans ses bras cette frêle créature.

« Quelquefois, lorsqu’une légère brise s’élevait, il la conduisait sous les orangers du parc, où il s’asseyait pour lui chanter des gazals[1] indoustani.

« Un jour qu’ils étaient sortis tous les trois, le père, l’enfant et le serviteur, sir Albert Melvil voulut porter lui-même sa fille.

« — Père, laisse le bon Soulami, qui m’aime tant, me porter aujourd’hui !

« L’Indien pleurait, fier de son précieux fardeau. Ils firent ainsi une longue course sous les orangers.

« Le soir, l’enfant s’endormit plus calme et l’Hindou s’accroupit au pied de son lit, ne la quittant pas des yeux, écoutant sa respiration, comptant les battements de son cœur.

« Soudain, l’enfant s’éveilla en poussant une plainte, et sa pâleur effraya son gardien.

« — Venez, venez vite ! dit le fidèle serviteur en frappant à coups précipités sur la porte de M. Melvil qui était allé prendre un peu de repos.

« Ces paroles le réveillèrent brusquement et tombèrent sur son cœur comme des pelletées de terre sur un cercueil.

« Une seconde après, il était penché sur le lit de sa fille, qui semblait s’être endormie de nouveau, et un exprès était expédié au docteur.

« Le malheureux père voyait mourir son enfant et s’écriait en se tordant les bras :

« — Oh ! si elle pouvait s’éveiller et me dire une parole, une seule encore !

« Et, se penchant sur elle, il murmura doucement à son oreille :

« — Ada, mon Ada chérie !

« Les grands yeux bleus d’Ada s’ouvrirent, un sourire passa sur son visage, elle essaya de soulever la tête.

« — Cher père ! dit-elle en faisant un dernier effort et jetant ses bras autour de son cou.

  1. Chants, ballades.