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tueux sourire une main sur laquelle l’artiste se pencha galamment en disant :

La place m’est heureuse à vous y rencontrer

Car le bon Dumesnil avait cette douce manie d’émailler sa conversation de réminiscences poétiques. Il possédait à fond ses classiques et parfois en abusait. Jamais il n’avait paru au milieu des convives des Meyrin sans dire comme Louis XI : « Chez un de mes bourgeois, je viens m’asseoir à table. » S’il jouait aux cartes, il attendait impatiemment que son adversaire lui demandât du cœur, pour répondre comme le Cid : « Tout autre que mon père l’éprouverait sur l’heure. »

Tout cela le plus sérieusement du monde, en prenant des poses théâtrales, même chez lui, en tête-à-tête avec son unique serviteur, le vieux père Potais, un ancien souffleur de l’Odéon, qui, lui aussi, la mémoire farcie des tragiques du grand siècle, ripostait à son maître alexandrin pour alexandrin, tirade pour tirade. C’était d’un comique inénarrable !

Malgré ce petit ridicule, Dumesnil, nous l’avons vu, n’était pas moins un fort brave homme, et ce fut tout ému qu’il prit place auprès de Mme Paul Meyrin, sa fille, comme il ne cessait de se le répéter en jetant sur elle, à la dérobée, des regards attendris.

Personne chez les Meyrin ne se doutait de cette paternité, pas plus que Lise ne s’en doutait elle-même, et le vieux comédien était en même temps heureux et fier de ce secret qu’il possédait à lui seul et lui rendait la jeune femme plus chère encore. On eût dit qu’il avait le pressentiment qu’il serait appelé un jour à la protéger.


III

MATERNITÉ


Les relations qui s’étaient établies entre sa belle-sœur et elle parurent tout d’abord compléter le bonheur de