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Et l’électro-aimant — regardez ! regardez ! — les prend et les donne aux machines, qui font des comprimés !

Les machines forçaient, écrasaient, broyaient. La matière était soumise, à quelle épreuve !

— Après tout, me dis-je, la matière ici devient peut-être de l’esprit… puisque c’est l’invention de l’esprit qui la reforme !

Mais comment méditer ? Nous arrivions à la troisième usine, aux Épinettes.

— Un nom bucolique, remarquai-je.

— Oui, reprit Lévi-Prune dans un rire éclatant, je l’ai construite sur des terrains de maraîchers ! J’ai tout chassé, tout vidé ! Il y avait quinze hectares de cloches à melons ; je suis venu ; deux mois après, je fabriquais des engrenages !

En entrant dans l’usine, nous pénétrâmes dans un nuage de poussière. Le soleil, lui, n’entrait pas. On le voyait aux vitres du haut, il s’arrêtait là. D’ailleurs, j’étais seul à penser au soleil. Les ouvriers, « à la chaîne », ne pensent pas.

— J’ai ici cinq mille ouvriers ! dit Lévi-Prune dans le contentement.

Cinq mille esclaves, soumis à leurs machines, épousant le rythme fou, obligés de suivre… dans l’engrenage. Les travaux forcés ! L’objet arrive sur un glissoir, passe par une main, rentre dans une autre. Si quelqu’un s’arrête