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vous n’avez pas l’impression qu’il faudra en découdre ?

C’est un mot comique dans cette bouche ronde, d’où les phrases s’échappent comme des bulles de savon. Le pauvre, qu’est-ce qu’il découdrait ? Mais il n’en parle que par peur d’être décousu ! La peur, voilà son sentiment premier et dernier. Il a peur d’être ridicule, ce qui lui fait croire à tous les faux bruits : si jamais ils étaient vrais, n’aurait-il pas l’air sot en n’y croyant pas ? Il a peur d’être ruiné, ignorant que tout ce qui est beau, le Paradis, l’amour, les enfants, ne s’achète pas. Il a peur surtout d’être tué. Le catéchisme lui a bien dit qu’il y a une vie éternelle, mais dans des termes abstraits qui ne l’ont pas atteint. Je le regardais, en pensant à son frère. Et je l’entendais dire :

— Nous arrivons à l’heure décisive… du moins, je crois !…

Il attendait que je proteste : j’ai eu soin de ne pas broncher.

— C’est horrible ! continua-t-il. Moi, je réprouve toute violence et tout excès !

J’avais envie de répondre :

— Comment ferez-vous pour mourir ? La mort doit être violente. Et comment avez-vous eu un fils — unique bien entendu — mais il vous doit la vie ; il a fallu, un soir, être excessif avec Mme  Bailly !

Je pensais cela… tout bas. Encore une fois,