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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

— Oh ! si papa !

— Ta valise est-elle finie ?

— Elle est finie.

— Nous allons commencer par nous reposer huit jours au lac de Genève. Et pendant huit jours, Thierry, nous causerons.

— Quel bonheur ! Je n’aime rien tant que causer !

— Dans un paysage où tu auras le sens, comme nulle part ailleurs, du don qu’est la vie.

— Je voudrais déjà y être ! me dit Thierry.

— Alors, partons ! lui dis-je.

— Partons ! Partons vite ! fit Thierry.

J’avais donné l’ordre d’envoyer les bagages dans une auto. Il faisait nuit, mais une nuit douce et comblée d’étoiles, et je voulais gagner le train, à pied, par la route, avec l’enfant.

Je l’avais pris par sa petite main, que je serrais dans la mienne, et nous allions d’un même pas ferme, celui du bonheur.

— Thierry, j’ai voulu que nous commencions sous ce ciel-là ton voyage de la vie. Ce ciel-là, Thierry, tu le regarderas tous les étés, et tu ne connaîtras rien de plus beau, même les yeux de la femme qu’un jour tu choisiras pour l’aimer. Si tu sais garder en toi-même, dans le plein jour et le soleil, le souvenir constant de ce grand ciel mystérieux, Thierry, tu es non seulement sauvé,